De sa résidence hivernale en Floride, Robert Bob Bédard n’a rien manqué des derniers mois de Félix Auger-Aliassime, qui lui ont permis de faire un bond de plus 70 places au classement de l’ATP. « Il est fantastique », lance l’homme de 87 ans, qui est le dernier Canadien à avoir remporté les Internationaux de tennis du Canada, en 1955, 1957 et 1958.

Il a suivi avec attention le tournoi de Miami au cours duquel le Québécois a battu deux joueurs du top 20 avant de s’incliner devant l’Américain John Isner en demi-finale. « J’ai regardé tous ses matchs. Il aurait dû gagner contre Isner, mais il est encore jeune. C’était juste une mauvaise partie. Il manque un peu de confiance dans les gros matchs, mais ça va venir. Ce qui m’impressionne, c’est sa manière de garder la balle en jeu », analyse-t-il.

Vient ensuite la grande question, alors que le tennis canadien connaît une période dorée. Voit-il son successeur à la Coupe Rogers dans cette nouvelle vague, qui comprend aussi Denis Shapolavov ? N’oublions pas Milos Raonic, qui n’a que 28 ans. « S’il y en a un qui va percer, c’est bien [Auger-Aliassime] », tranche le natif de Saint-Hyacinthe.

M. Bédard ne fait pas que regarder du tennis à la télévision, il le pratique encore régulièrement. Après notre entrevue, il prenait d’ailleurs la direction des courts pour une partie extérieure entre amis dans la région de Fort Pierce.

PHOTO FOURNIE PAR ROBERT BÉDARD

Robert Bédard, 87 ans, vainqueur des Internationaux du Canada en 1955, 1957 et 1958

« On joue presque tous les jours, raconte-t-il en riant. Cet hiver, on a joué dans deux ligues, qui sont finies maintenant. On a peut-être gagné neuf fois et perdu quatre fois. On est dans les 55 ans et plus », spécifie-t-il.

Cinquante-cinq ans et plus ? La fourchette semble large, surtout pour un joueur de 87 ans. Il éclate de rire quand on le lui dit. « Il n’y en a pas d’autres. Ils sont partis, ceux de mon âge. […] Moi, j’ai été bien chanceux. J’ai eu une ou deux difficultés avec une épaule, mais les genoux vont bien, et je peux jouer tous les jours. Je crois que mes parents m’ont légué de bons gènes. »

Dans la foulée, il indique avoir une préférence pour les compétitions de double ou par équipe plutôt que les tournois individuels. Cela ne l’empêche pas de toujours très bien figurer dans cet exercice. Dernier exemple en date, les Championnats canadiens Steve Stevens 2018, où il a remporté la catégorie des plus de 80 ans, autant en double – avec son ex- partenaire de la Coupe Davis et ami François Godbout – qu’en simple. Il a dû descendre de division d’âge en raison de son niveau de jeu trop élevé.

« J’ai gagné assez facilement, mais ce n’est pas toujours le cas. J’aime bien gagner, mais ça ne me fait rien de perdre. Tant que je joue bien durant la journée, je suis content », dit-il en abordant ensuite un autre souvenir récent.

« En 2017, à Orlando, j’ai gagné mon match contre celui [George McCabe] qui, la semaine suivante, avait remporté les championnats du monde. »

« Une époque totalement différente »

M. Bédard a été le joueur canadien le mieux classé entre 1955 et 1965, et a représenté le pays durant 10 ans à la Coupe Davis. En plus des victoires en simple aux Internationaux du Canada, il a remporté le titre en double (1955, 1957, 1959) ainsi qu’en double mixte (1959). Selon les données de Tennis Canada, il a battu les plus grands noms de l’époque, dont l’Australien Roy Emerson et le Mexicain Rafael Osuna. Il a également remporté 216 gains consécutifs contre des adversaires canadiens.

« C’est de l’histoire ancienne », lance-t-il quand on lui glisse le chiffre, comme s’il était surpris que l’on s’intéresse encore à son parcours.

« Ça fait longtemps et c’était totalement différent, ne serait-ce que sur le plan de l’équipement. Même si ça avait changé à la fin de ma carrière, on a longtemps joué avec des raquettes en bois. On ne peut pas comparer une époque avec une autre. Les jeunes femmes, actuellement, frappent 10 fois plus fort que nous. On n’avait pas d’instructeur et on faisait ce qu’on pouvait. »

Les saisons comprenaient un voyage de trois mois en Europe, qui lui permettait de se rendre à Roland-Garros ou à Wimbledon. Durant ces voyages, il a notamment atteint la finale du tournoi de Stuttgart en 1954 et les quarts de finale de l’Omnium d’Italie trois ans plus tard. Il s’est également hissé au troisième tour des tournois du Grand Chelem — dont le US Open — à plusieurs reprises.

« Dans le temps, c’était sur gazon à Forrest Hills », se rappelle M. Bédard, médaillé d’argent aux Jeux panaméricains de 1959. « On ne jouait pas sur cette surface avant d’y aller, et il faut une couple de semaines pour se réadapter. Mais j’ai quand même eu de bons résultats là-bas. […] Aussi, à l’époque, on ne jouait jamais sur les surfaces dures. Mes résultats étaient à peu près les mêmes sur gazon que sur terre battue, mais j’aimais mieux la terre battue. »

Un athlète complet

M. Bédard, qui ne déteste pas faire une ronde de golf à l’occasion, était un athlète complet dans sa jeunesse. Il aurait pu espérer faire carrière dans le hockey ou dans le baseball, ayant même reçu des invitations de clubs évoluant dans les ligues majeures. Mais un destin tient parfois à peu de choses.

« Ma mère avait son gros mot à dire et elle préférait que je reste avec le tennis. Elle n’aimait pas tellement le hockey et le baseball, pour lesquels je devais m’éloigner et arrêter mes études. Quand on regarde la suite, je me dis qu’elle a eu bien raison. »

Cela a en effet donné un beau parcours sur les courts, une implication en tant que dirigeant et une carrière de 39 ans dans l’éducation. Cet ancien professeur de français et de géographie vit actuellement à Aurora, où il a été le directeur du College St. Andrews entre 1981 et 1997. Il retourne en Ontario dès l’apparition des premiers rayons au mois d’avril. « L’été, je joue au tennis à l’intérieur trois fois par semaine », précise-t-il.

La raquette n’est plus en bois, mais la passion, elle, demeure inchangée.